Devant la spéculation que nous observons sur les marchés financiers, j’ai entrepris une série de chroniques présentant les ravages du capitalisme financier. Dans la première, j’ai démontré les méfaits de la spéculation, en particulier le lien entre celle-ci et la crise économique et financière qui sévit sur la planète depuis l’été 2007. Dans la seconde, j’ai parlé de la naissance et de l’évolution du capitalisme et de la bourse, et comparé deux formes d’investissements dans une entreprise de haute technologie. Dans la troisième chronique, j’ai présenté les besoins en financement des entreprises technologiques. Dans cette quatrième et dernière chronique, j’introduirai un nouveau mode d’organisation économique à privilégier, le capitalisme responsable.
Pour être bénéfique à l’ensemble de l’humanité, le développement, technologique ou autre, doit reposer sur un nouveau paradigme dit de capitalisme responsable, un concept que nous avons déjà abordé en 2007 dans l’ouvrage Consommation et luxe. Nous définissons le capitalisme responsable comme un système socio-économique fondé sur la libre pratique du commerce, des affaires, de l’industrie et de la finance, dans une perspective de respect des intérêts de tous les acteurs en présence, entre autres le simple citoyen, l’État, les entreprises et les organismes financiers; on retrouve dans cette notion d’acteur le sens que les Anglo-Saxons donnent au concept de stakeholders, soit toutes les parties prenantes d’une entreprise, aussi bien ses clients, que ses employés, ses fournisseurs ou ses investisseurs. Issu du monde même qui l’a fait naître, celui des affaires, le capitalisme responsable s’inscrit dans une évolution du capitalisme, du capitalisme marchand de Venise au capitalisme industriel de la Révolution industrielle du XIXe siècle puis au capitalisme financier de l’ère moderne (Pour ces trois formes de capitalisme, voir K. Galbraith, The Economics of Innocent Fraud, Boston, Houghton Mifflin Company, 2004, p. 8.).
Conscients de leurs responsabilités dans la société, de plus en plus d’hommes et de femmes d’affaires ne peuvent que souscrire à une vision plus humaine des pratiques commerciales, industrielles et financières. À ceux qui pourraient me croire bien naïf, je souligne le fait d’avoir œuvré dans ce monde pendant plus de 25 ans et le côtoyer encore fréquemment; je peux vous assurer qu’il n’est pas peuplé que bandits, d’escrocs, de tyrans et de spéculateurs. J’en prends pour preuve des organisations telle BSR (Business for Social Responsibility), un « leader mondial de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises (RSE) depuis 1992 », dont la mission est d’« aider les entreprises à contribuer à créer un monde plus juste et plus durable. »
Parmi les plus fervents défenseurs du capitalisme responsable, on compte également des hommes politiques influents tels Nicolas Sarkozy et Barack Obama. Ainsi, pendant la campagne qui l’a mené à la présidence de la France en 2007, Nicolas Sarkozy proposait un capitalisme « familial », fondé sur des valeurs plus humaines, qui s’inscrit dans la perspective de responsabilité sociale que nous venons de décrire : « Je crois dans la force créatrice du capitalisme, mais je suis convaincu que le capitalisme ne peut pas survivre sans une éthique, sans le respect d’un certain nombre de valeurs spirituelles, de valeurs morales, sans l’humanisme, sans la culture. […] Il faut remettre le capitalisme au service d’une certaine idée de l’homme. Je crois dans l’éthique du capitalisme. Je n’accepte pas, et des milliers d’entrepreneurs avec moi, que le travail salarié et l’esprit d’entreprise soient bafoués par les rémunérations et les privilèges excessifs que s’octroie une toute petite minorité de patrons. Je n’accepte pas qu’au niveau mondial, pour des raisons de pur profit, on joue avec les salariés et avec les usines comme on déplace des pions sur un jeu de société. […] Je renforcerai le capitalisme familial. »
Il faut bien l’avouer, même sans les pratiques outrageusement spéculatives, la nature même de la bourse force les entreprises à s’engager dans une course à la rentabilité qui leur fait souvent prendre des décisions contraires à un développement harmonieux à long terme et certaines contraires à l’intérêt de leurs employés et clients. Dès sa première offre publique d’actions (OPA), une entreprise perd une partie de sa liberté d’action; elle est dès lors soumise aux exigences de profit des gestionnaires de fonds communs de placement, des grands investisseurs et des spéculateurs, ce qui la dénature. C’est ce qui explique que Guy Laliberté a toujours refusé d’inscrire son entreprise en bourse; le Cirque du Soleil ne serait sans doute pas ce qu’il est aujourd’hui, si l’entreprise s’était inscrite à la bourse, car Monsieur Laliberté n’aurait pas eu toute la latitude voulue pour choisir ses partenaires, ses artistes, ses spectacles, et j’en passe. Je crois d’ailleurs qu’il faut voir dans les récents déboires de Toyota l’effet d’une course à la rentabilité qui a eu un impact néfaste sur la qualité de ses produits.
Des patrons de grandes sociétés refusent d’être à la remorque des investisseurs. Ainsi, voici ce que déclarait Nick Hayek, le PDG de l’horloger Swatch, le 21 mars 2009 à la suite d’une baisse du bénéfice de l’entreprise qu’il dirige : « Pour une entreprise cotée en Bourse, qui annonce une chute de bénéfice, réduire de 10 % l'effectif permet de faire remonter le titre. Cela ne marche pas comme cela chez nous. Il n'y aura ni licenciement ni recul des investissements chez Swatch. Nous acceptons d'avoir un rendement amoindri et de ne pas être les chouchous de la Bourse. » Ce refus de jouer le jeu boursier pour plaire aux investisseurs s’inscrit dans une perspective de capitalisme responsable.
Le 3 décembre 2008, aux États-Unis, le chroniqueur Ray Williams publiait un article dans lequel il affirmait que le paradigme actuel des affaires n’est plus viable, incitant les chefs d’entreprise à adopter un capitalisme responsable : « Les sociétés capitalistes ont entamé une transformation évolutive de qui nous sommes, ce que nous valorisons et comment nous nous comportons; celle-ci exige une responsabilité sociale et environnementale, à laquelle les chefs d'entreprise doivent participer activement. La transformation requiert un modèle qui se concentre sur plus que le seul objectif de profitabilité (bottom line); elle envisage une création de richesses qui ajoute des gains personnels, sociaux et écologiques aux résultats financiers. » (R. Williams, «CEOs need to adopt responsible capitalism», Financial Post, 3 décembre 2008) La position du Président américain Barack Obama s’inscrit dans cette perspective. Entre autres dans un discours prononcé le 24 février 2009, on constate qu’il défend une vision du capitalisme dans laquelle la prospérité profite à tous. Même s’il n’a pas lui-même nommé ce nouveau capitalisme, d’autres l’ont fait pour lui, capitalisme responsable (Responsible Capitalism) : « Mardi soir, le discours du président Barack Obama était parsemé de phrases et d’idées soulignant sa vision de la responsabilité de son gouvernement à l’effet non seulement de favoriser une économie vigoureuse, mais aussi de s'assurer que les gens ordinaires tiraient profit de cette économie. Il n'a pas encore pleinement articulé sa philosophie économique, et ne lui a pas non plus donné un nom. Mais nous pouvons voir dans ce discours les contours d'une nouvelle approche que l'on pourrait appeler “capitalisme responsable” en contraste avec le “capitalisme de copinage” de l'ère Bush […] Plus précisément, il redéfinit ce que signifie un “climat d'affaires sain” — une prospérité largement partagée par les travailleurs, une économie qui crée de bons emplois, permet l’ascension des travailleurs pauvres à la classe moyenne, fournit des écoles de tout premier ordre, des soins de santé décents, et un logement que les familles peuvent se permettre, tout en protégeant l'environnement. » Le président Obama critique également les abus, entre autres ceux de l’industrie et du monde de la finance; à son avis, le gouvernement doit exercer un contrôle plus étroit dans ces secteurs.
Bref, l’impératif d’une réforme du capitalisme n’est plus à démontrer; quantité d’acteurs de premier plan s’entendent sur la nécessité d’une collaboration à l’échelle internationale pour définir les actions à prendre, car les économies mondiales sont tellement interreliées que l’action unilatérale d’un seul pays n’aurait aucun effet; de mettre en place des mesures pour freiner la spéculation sur les matières premières par exemple doit nécessairement faire intervenir tous les grands États.
1 commentaire:
un excellent billet, pourtant je me demande bien comment réformer le système capitaliste en le rendant plus responsable? si la réponse de swatch prouve qu'il y a encore une part de conscience même chez les plus grands capitalistes, le but de l'apporteur en capitaux est tout de même d'en générer plus...toujours plus!
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