lundi 15 février 2010

Lien entre spéculation boursière et faillites d’entreprises

Devant la spéculation que nous observons sur les marchés financiers, j’ai entrepris une série de chroniques présentant les ravages du capitalisme financier. Dans la première, j’ai démontré les méfaits de la spéculation, en particulier le lien entre celle-ci et la crise économique et financière qui sévit sur la planète depuis l’été 2007. Dans la seconde, j’ai parlé de la naissance et de l’évolution du capitalisme et de la bourse, et comparé deux formes d’investissements dans une entreprise de haute technologie. Dans cette troisième chronique, je présenterai les besoins en financement des entreprises technologiques. Bien entendu, ces constats s’avèrent également exacts dans d’autres secteurs d’activité économique.

Le développement technologique, je l’ai souligné, nécessite aujourd’hui des injections massives de capitaux dont disposent seulement les États, les grandes puissances financières, tels les banques, les sociétés de fonds communs de placement et quelques richissimes investisseurs parmi lesquels on retrouve à la fois des créateurs d’entreprises et des spéculateurs. Les petites entreprises technologiques ont beaucoup de mal à trouver le capital nécessaire à leur développement; elles font appel à des subventions de l’État, à des emprunts bancaires, à des sociétés de capital de risque et à quelques rares investisseurs privés. Lorsqu’elles atteignent une certaine taille, elles s’inscrivent à la bourse et font une première émission d’actions; elles sont dès lors soumises aux diktats des investisseurs boursiers qui exigeront d’elles une profitabilité accrue, année après année, faute de quoi leurs actions seront délaissées, leur capitalisation réduite et leur développement compromis.

Plusieurs entreprises florissantes sont ainsi disparues au fil des années. Même les grandes entreprises, parfois inscrites à la bourse depuis des décennies, sont vulnérables; on a vu certaines s’écrouler, leurs actions passant parfois de centaines de dollars à quelques cents. Pensez au fleuron qu’était Norton Telecom (Nortel) au Canada. La spéculation boursière n’est peut-être pas le seul coupable dans la faillite de Nortel, mais c’est un facteur prépondérant; sans les exigences excessives de quelques grands investisseurs visant une trop forte rentabilité, à court terme de surcroît, les décisions d’affaires des dirigeants auraient vraisemblablement été différentes, plus conformes à un développement plus harmonieux de l’entreprise dans une perspective à long terme. Les entreprises, technologiques ou autres, ne devraient pas devoir se financer par le biais des marchés boursiers et voir leurs décisions d’affaires dictées par une poignée de spéculateurs qui ne songent qu’à leur profit personnel à court terme, bien souvent au détriment de l’entreprise elle-même.

Quelles autres avenues pourrait-il exister? Je l'ai dit, le développement technologique peut se poursuivre au sein d’une organisation économique de type capitaliste, tout en étant profitable à l’ensemble de la société. Cependant, pour demeurer le mode d’organisation économique à privilégier, le capitalisme doit se transformer, être associé à des mesures socialistes imposées par l’État et surtout éliminer, ou à tout le moins restreindre, la spéculation. Ce nouveau paradigme, on le voit déjà poindre sous la forme d’un capitalisme responsable et de nouvelles valeurs; j’en présenterai les grandes lignes dans ma prochaine chronique.

dimanche 7 février 2010

Spéculation : Les origines du capitalisme et de la bourse

Devant les dérives dont je suis témoin quotidiennement dans le monde de la haute finance, j’ai entrepris la semaine dernière une série de chroniques portant sur les ravages du capitalisme financier. Dans la première, j’ai démontré les méfaits de la spéculation, en particulier le lien entre celle-ci et la crise économique et financière qui sévit sur la planète depuis l’été 2007. Dans cette seconde chronique, je parlerai de la naissance et de l’évolution du capitalisme et de la bourse, et comparerai deux formes d’investissements dans une entreprise de haute technologie.

Mumford situe au XIVe siècle, en Italie du Nord, « la naissance du capitalisme et le passage d’une économie de troc – facilitée par une monnaie locale et variable – à une économie d’argent, avec une structure de crédit international (Mumford, 1950). » Quant à la bourse, il nous apprend que « deux siècles plus tard, il existait à Anvers une bourse internationale destinée à la spéculation sur l’armement des vaisseaux dans les ports étrangers et sur la monnaie. » D’autres font remonter la naissance de cette institution financière à une époque encore plus ancienne. Certains par exemple font état de l’existence de « courratiers » (forme ancienne du mot courtier) de change à Paris au XIIe siècle, « chargés en France de contrôler et réguler les dettes des communautés agricoles pour le compte des banques », puis des échanges de créances d’État par les banquiers Lombards au XIIIe siècle. Un premier parquet boursier aurait existé à Bruges au XIVe siècle. Selon plusieurs, l’appellation « bourse » tirerait son origine du nom de celui de la famille Van Der Beurze (De La Bourse en wallon), dans la maison de laquelle se réunissaient les négociants brugeois. Bien qu’intéressants, tous ces repères sociohistoriques sont cependant de peu d’importance face à la spéculation, inhérente à la bourse.

Sur ce sujet, Mumford a écrit « bourse internationale destinée à la spéculation »; l’utilisation qu’il fait des termes « bourse » et « spéculation » au sein d’une courte phrase et celle de l’adverbe « destinée » pour lier ces deux termes et désigner l’objectif de cette institution financière, démontre l’indissolubilité qu’il perçoit entre « bourse » et « spéculation ». Mumford poursuit en affirmant qu’avec l’avènement du capitalisme boursier, « toutes les affaires prirent une forme abstraite. Elles ne traitaient pas de marchandises, mais de futurs imaginaires et de gains hypothétiques (Mumford, 1950). » Il poursuit avec l’industrie des mines, soulignant que l’extension des opérations et l’utilisation d’une machinerie faisant appel aux plus récentes technologies de l’époque, nécessitaient un apport de capital que les ouvriers ne pouvaient fournir : « Cela conduisit à l’admission d’associés qui apportèrent des capitaux au lieu du travail : c’étaient des propriétaires absents […] Ce développement capitaliste fut encore stimulé dès le XVe siècle par la spéculation effrénée sur les actions. Les propriétaires fonciers et les commerçants pratiquèrent ce nouveau jeu (Mumford, 1950). »

Cela dit, de faire reposer le développement humain et technologique sur une organisation économique de type capitaliste n’implique pas fatalement la spéculation. Cette pratique n’est pas inhérente au capitalisme, mais à la cupidité humaine; elle est et a été de tous les âges le fait d’un petit nombre. Elle atteint aujourd’hui des sommets vertigineux; ne créant aucune richesse véritable, elle permet seulement à une poignée d’individus de s’enrichir de façon éhontée jusqu’à détruire le système qui leur a permis d’accumuler leur richesse. Il pourrait en être autrement.

Considérons deux placements de 100 000 $ effectués dans des investissements liés à la haute technologie, le premier dans une petite entreprise en démarrage oeuvrant dans le développement de logiciels de sécurité des données, et le second dans un fonds commun de placement spéculatif sur le prix des métaux, une ressource cruciale dans le secteur de la fabrication d’ordinateurs. Pour les besoins de cette comparaison, supposons que les deux placements ont une valeur de 500 000 $ après 5 ans et que les deux investisseurs liquident alors leurs placements respectifs, réalisant un profit de 400 000 $. Ces deux placements ont été également profitables et recevront le même traitement fiscal, soit une imposition sur seulement 50 % du gain en capital. Toutefois, lequel de ces deux placements a été le plus profitable à la société? Lequel a créé une véritable valeur?

Dans le premier cas, des programmeurs, des vendeurs et d’autres employés ont été embauchés, créant ainsi de la richesse collective; ces personnes ont payé des impôts sur leurs revenus aux différents paliers de gouvernement et leur consommation a alimenté d’autres secteurs économiques. La valeur de la petite entreprise en question est passée de 100 000 $ à 500 000 $; cette valeur repose sur des actifs tangibles, bien qu’une certaine proportion puisse être incorporelle. Quant aux logiciels développés, ils ont permis à d’autres sociétés de protéger leurs données et donc de fonctionner de façon plus efficace et plus sécuritaire. N’oublions pas non plus le fait que l’investisseur ne liquidera sans doute pas son investissement après 5 ans, surtout s’il est propriétaire de l’entreprise. Même advenant le fait qu’il le fasse la société ne liquiderait pas ses actifs pour autant; sous la direction d’un autre propriétaire, elle continuerait de prospérer, d’engager du personnel et de créer de la richesse collective.

Dans le second cas, une faible retombée positive pour la société; comme dans le premier cas, seulement l’imposition d’un impôt sur 50 % du gain en capital de 400 000 $. Bien au contraire, les impacts sur la société sont plutôt négatifs. Par exemple, l’augmentation du prix des métaux nuit au développement de plusieurs entreprises, faisant monter le prix de plusieurs produits dont elles ont besoin. Si la valeur du placement est passée de 100 000 $ à 500 000 $, ce gain ne représente aucune augmentation réelle de valeur, seulement une augmentation dans la perception de la valeur des métaux, résultat de la spéculation sur le prix de ceux-ci. D’imposer un même traitement fiscal à ces deux investissements est-il équitable si on considère les retombées pour la société? Gardons cette question en suspens pour l’instant… mais nous y reviendrons.

Dans ma prochaine chronique, je parlerai des besoins en financement des entreprises technologiques.