jeudi 10 avril 2008

Les problèmes de la société de consommation

Les problèmes liés à la consommation ne résident pas dans la forme ou la nature du commerce, mais l’usage qui en est fait. Si je peux me permettre une analogie, les casinos sont également des lieux de plaisir, mais le jeu compulsif est un phénomène coûteux sur le plan personnel et social. Doit-on pour autant abolir les casinos? Ne n’est-il pas préférable de soigner les joueurs compulsifs?

Par ailleurs, comme je le démontre dans « Consommation et image de soi, Dis-moi ce que tu achètes… », il existe un lien très étroit entre l’image des produits et l’image de soi. Or, si on crée une image autour des nouveaux centres commerciaux, les problèmes ne sont pas non plus simplement liés aux symbolismes de la consommation. Dans « Consommation et luxe, La voie de l’excès et de l’illusion », je souligne que cette interrelation existe depuis des millénaires.

Évoquant les travaux de Sahlins, voici qu'écrit Lipovetsky, au sujet des chasseurs-cueilleurs du paléolithique : « Leurs habitations comme leurs habillements sont rustiques, leurs ustensiles peu nombreux. Mais s’ils ne fabriquent pas de biens de grande valeur, cela ne les empêche pas, à l’occasion des fêtes, de se parer et d’admirer la beauté de leurs ornements. » (G. Lipovetsky et É. Roux, Le luxe éternel. De l’âge du sacré au temps des marques, Paris, Gallimard, 2003, p. 22. Voir aussi M. Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1976).

L’image de soi a dominé la consommation dans les vingt dernières années du XXe siècle. Au tournant du siècle, le plaisir pour soi est venu s’ajouter à ce désir de paraître; pensons au fameux « Je le vaux bien de L'Oréal ». Cet hédonisme a favorisé l’émergence de nouvelles formes de commerces.

Peut-on reprocher aux gens de vouloir se faire plaisir? Je ne crois pas.

Par contre, s’il est justifié d’aspirer au bonheur et de satisfaire en partie cette aspiration par la consommation, il est déplorable de ne pas rechercher également sa réalisation personnelle dans quelque chose de plus grand.

Peut-on reprocher aux gens de vouloir soigner leur image? Je ne crois pas non plus.

Par contre, s’il est normal de vouloir soigner son image, il est malsain d’utiliser la consommation comme forme de compensation à une image de soi négative ou à une estime de soi faible.

En somme, ce qui ne va pas avec la consommation, ce n’est ni le commerce ou ses différentes formes, tels les Mégas centres commerciaux, ni le fait même de consommer; ce sont les excès liés à la société d’hyperconsommation et les valeurs égoïstes sous-jacentes à cette dernière.

Tout est dans la recherche d’une juste mesure.

mardi 1 avril 2008

La consommation et le commerce sont essentiels

Par mes écrits et mes prises de position publiques, je critique plusieurs aspects de la consommation, en particulier les excès du côté du consommateur et la spéculation du côté des vendeurs. Par contre, je ne suis d’aucune façon contre la consommation et je ne prêche surtout pas pour le dénuement ou la simplicité volontaire pure et dure. Ces solutions sont tellement extrémistes qu’elles ne peuvent que rebuter la plupart des consommateurs… plutôt que de les inciter à consommer plus raisonnablement.

Je pense bien au contraire que, sous réserve de pratiques responsables de part et d’autre, la consommation et le commerce sont essentiels, et ce, sur deux plans. Ils sont tout d’abord indispensables sur le plan économique. En fait, la forte consommation intérieure est ce qui a jusqu’à présent sauvé le Canada de la récession qui sévit aux États-Unis depuis l’été 2007. Selon le Conference Board, le consommateur sauve la mise; c’est d’ailleurs le titre d’un article signé par le journaliste Stéphane Paquet le mercredi 12 mars dans La Presse.

La consommation est tout aussi nécessaire sur le plan humain. Tout le monde veut se faire plaisir, consommer, acquérir des objets et se payer des services qui agrémentent la vie, qui dépassent même parfois le strict nécessaire.

Dans mon plus récent ouvrage, « Consommation et luxe, La voie de l’excès et de l’illusion », je souligne d’ailleurs le caractère essentiel, universel et anthropologique de la consommation de luxe, appuyant notamment mes propos sur Shakespeare et Lipovetsky.

Le commerce et la consommation ont été un élément essentiel du développement humain; ils existent depuis des millénaires. Il serait utopique de vouloir mettre fin à ces activités au XXIe siècle.

Le shopping center est apparu dans les années 1950. À l’instar du réseau autoroutier, la migration des populations vers la banlieue a rendu essentielle la construction de ce nouveau mode de distribution : le centre commercial. Les Mégas centres commerciaux ne sont qu’une évolution du commerce; ce sont de plus en plus des lieux à la fois de nécessité et de plaisir. À preuve le Dix 30 ne veut-il pas ouvrir une Méga clinique privée de soins de santé, ce que plusieurs au Québec estiment être une nécessité. Par ailleurs, leur offre commerciale dépasse largement la fonction commerciale traditionnelle; on appelle cette nouvelle formule commerciale des centres « style de vie » (Life Style Shopping center).

Au Quartier Dix30, le plus gros centre «style de vie » au Canada, on recrée l’illusion de la rue principale des villages d’antan, artère qui avait pour principale vocation d’être fonctionnelle, car elle regroupait au même endroit les commerces dont les gens avaient besoin. La principale fonction de ces nouveaux centres commerciaux est d’être symboliques, de vous faire vivre une expérience sensorielle.

Hormis la « rue principale » et le théâtre, bien d’autres centres commerciaux incorporent tous les autres éléments du Dix30 : stationnements extérieurs et intérieurs gratuits, variété de restaurants, cinémas, etc. À quoi donc le concept de « centre commercial style de vie» tient-il ? Comme pour un parfum ou un restaurant de luxe, c’est le packaging, le conditionnement en quelque sorte, et l’axe de communication qui font le produit.

Positionner et vendre le Dix30 comme un centre de divertissement, d’amusement, s’inscrit dans la logique d’achat-plaisir de Lipovetsky : « De nos jours, même la consommation des biens matériels tend à basculer dans une logique expérientielle, le shopping en général baignant dans une atmosphère hédonistique et récréative» (G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006, p. 60).

Certains diront que les artisans de ce projet ne font qu’encourager la consommation, et ils auront raison. Cela dit, nous ne sommes pas des victimes, mais des complices de la société de consommation ; il n’en tient qu’à nous de consommer mieux et moins. Par ailleurs, ces promoteurs contribuent à faire un peu rêver les gens, dans un monde qui en a bien besoin; le Dix30, ce n’est pas un centre commercial, c’est un centre récréotouristique dans lequel riches et moins riches peuvent trouver leur compte.

Le comportement d’achat dans les Mégas centres commerciaux de type ouvert n’est pas du tout le même que dans un centre commercial traditionnel de type fermé. Le second favorise le shopping, le fait de déambuler, souvent sans avoir d’achat précis en tête, voire la marche de santé, car certains clubs de marche y pratiquent cette activité à la mauvaise saison. Les personnes qui fréquentent ces lieux affirment en tirer du plaisir; ils vont même s’arrêter prendre un café à l’une ou l’autre des terrasses intérieures que l’on retrouve dans ces lieux. Certains citadins n’arrivent pas à comprendre ce plaisir; quant à moi, je ne vois pas de différence entre le fait de prendre un café et d’échanger avec les gens dans ces endroits, ou dans un des nombreux cafés qu’on retrouve à Montréal.

On retrouve ce même comportement sur la « rue principale » d’un Life Style Shopping center tel le Dix30. Par contre, le comportement change radicalement dans les commerces éloignés de ce point central. Les gens qui vont dans ces commerces ont souvent un achat précis en tête; ils ont fait leur choix d’article et de point de vente sur internet ou dans un feuillet publicitaire et se rendent directement au commerce sélectionné, y font leur achat et quittent ensuite souvent le centre commercial.

Dans les grandes villes comme Montréal, le commerce c’est plutôt développé de façon linéaire, la rue Ste-Catherine par exemple; à l’instar du centre commercial, ces rues marchandes se sont parfois même couvertes pour permettre au consommateur de faire son shopping à l’abri des intempéries, par exemple la rue St-Hubert. Plus récemment, on a même vu se créer à Montréal des espaces commerciaux souterrains, le Montréal intérieur.

Considérez cette carte du Montréal intérieur.

Selon l’Observatoire de la Ville intérieure, « La ville intérieure est un ensemble d'immeubles connectés par des liens piétonniers protégés, appartenant à plusieurs propriétaires, offrant une diversité de fonctions, notamment du transport collectif, du commerce de détail, des espaces à bureaux et des activités de divertissement, et disposant d'ententes avec les autorités locales pour l'occupation du domaine public. » Au 31 décembre 2004, le Montréal intérieur comptait déjà 1 366 commerces de tous genres et 477 restaurants de toutes catégories.

Quelle différence existe-t-il vraiment entre le Montréal intérieur, la Plaza St-Hubert, la rue Ste-Catherine que l’on veut rendre piétonnière à l’été 2008 et le Quartier Dix 30? La réponse est simple : AUCUNE!

Pourquoi dès lors jeter l’anathème sur les centres commerciaux?