lundi 24 septembre 2007

Retour sur les attentes

Le chapitre 3 de mon prochain livre, Consommation et luxe, est consacré à l’étude des attentes. En voici un extrait.

La théorie des besoins, aujourd’hui encore utilisée comme fondement du marketing par la vaste majorité des théoriciens de cette discipline, doit être remplacée par une théorie des attentes, qui permet de mieux rendre compte de la complexité du comportement d’achat (Voir B. Duguay, Consommation et image de soi, Montréal Liber, 2005. Voir également R. Rochefort, La société des consommateurs, Paris, Odile Jacob, 1995.) En voici une représentation graphique que je désigne sous le vocable « Anneau des attentes ».

Pour mieux comprendre la notion d’attente, prenons l’achat d’une voiture. On pourra acheter un modèle particulier pour diverses raisons: sa faible consommation d’essence (attente fonctionnelle), sa réputation (attente symbolique), l'image qu'on souhaite projeter (attente imaginaire), le plaisir de la conduire (attente sensorielle), son prix raisonnable (attente financière), l'accueil chaleureux du concessionnaire ou du vendeur (attente relationnelle), l'utilisation de matériaux recyclés dans sa construction (attente sociétale), l'aspect unique de ce modèle (attente esthétique), les informations détaillées et conviviales du constructeur (attentes informationnelles), la rapidité de la livraison (attente temporelle). Le choix définitif tiendra sans doute compte de plusieurs facteurs, peut-être même de tous, l’influence de chacun étant fonction d’une pondération propre à chaque acheteur.

Une attente doit être vue comme une exigence que le consommateur veut satisfaire. Elle précise la notion floue de besoin sans se traduire immédiatement et obligatoirement en un désir. Si les attentes les plus importantes qu'on a à l'égard d'un produit sont satisfaites, on pourra nourrir un désir pour ce bien ou ce service, désir qui pourra par la suite se concrétiser en une demande ferme puis dans un achat. Contrairement aux besoins, que les théoriciens du marketing prétendent innés et donc résolument ancrés dans l’être humain, les attentes sont déterminées par d’innombrables éléments; en tout premier lieu, la publicité et toutes les autres actions communicationnelles effectuées dans un but commercial, mais également les valeurs de la société à laquelle un individu appartient, son cheminement personnel, ce que rend possible l’évolution technologique, largement diffusée par tous les canaux d'information... bref tous les stimuli auxquels une personne est exposée. Il est important de comprendre qu’à chaque attente du consommateur correspond un élément, au sens large, du produit; ainsi, pour répondre à l'attente fonctionnelle d'un vêtement durable, le produit devra faire appel à un matériau qui assurera cette durabilité, les communications quant à elles devront participer à la création d’une image de durabilité.

lundi 10 septembre 2007

Consommation et luxe

Je reprends la publication de mon blog aujourd’hui avec ces trois paragraphes tirés d'une première version de Consommation et luxe, mon prochain livre, dont la sortie est prévue cet automne.

« Ils sont fous ces Romains! » Plusieurs se rappellent encore ce propos que tenait fréquemment Obélix dans les célèbres aventures d’Astérix le Gaulois (Uderzo et Goscinny, Collection de plusieurs ouvrages, Paris : Dargaud éditeur). Confronté à la culture, étrange pour lui, du peuple Romain, il exprimait ainsi son désarroi. Je pense que nous allons bientôt entendre des paroles similaires de la bouche de personnes à qui la culture de la société de consommation apparaîtra tout aussi étrange. « Beau bébé » pouvait-on lire à la une du quotidien montréalais La Presse le jeudi 8 décembre 2005 (122e année no 51). Ce titre accrocheur renvoyait à une série d’articles portant sur les produits de luxe pour bébé dans le cahier Actuel du jour. « Des produits de luxe pour bébé? », me direz-vous. Eh bien, oui! Nos poupons se sont découvert un besoin pour le luxe! Fini le temps où les tout-petits se contentaient tous de la même marque de savon, de shampoing ou de poudre, Johnson’s au Québec ou Mustela en France; bien que ces deux marques soient encore très populaires, dans certains milieux la beauté de bébé passe maintenant par Anthony, Kiehl’s, Klorane et j’en passe.

Comment en est-on arrivé là? Dans les pays industrialisés, la consommation est devenue une activité de premier plan pour la plupart des gens. Par ailleurs, si le branding, cette philosophie d’affaires qui met l’accent sur la production de marques, a permis à celles-ci de connaître une croissance fulgurante, il les a par ailleurs démocratisées, parfois même galvaudées. Par conséquent, le port de la marque ne permet plus de suffisamment se distinguer, d’exprimer une image inédite. Que diable, comment paraître différent si tout le monde porte du Nike ou du Tommy Hilfiger? Que reste-t-il aux personnes désireuses de se différencier lorsque les marques ne suffisent plus? Le luxe! Seul le luxe permet désormais à certains de se distinguer, de se hausser, croient-ils, au-dessus des masses.

Cela dit, n’allez pas croire que je condamne sans appel tous les objets et services de luxe. Le luxe est nécessaire… même pour les personnes démunies, peut-être même surtout pour ces dernières qui ont bien besoin de petits plaisirs dans la vie. D’ailleurs, même Gilles Lipovetsky, critique réputé de la consommation s’il en est un, écrit : « Depuis longtemps, les meilleurs esprits ont souligné le caractère universel, anthropologique du luxe », appuyant ses propos par cette citation de Shakespeare « Le dernier des mendiants a toujours une bricole de superflu! Réduisez la nature aux besoins de nature et l’homme est une bête », et conclut « Le luxe c’est le rêve, ce qui embellit le décor de la vie, la perfection faite chose par le génie humain. » (G. Lipovetsky, Le luxe éternel, De l’âge du sacré au temps des marques, Paris, éditions Gallimard, 2003, p. 19) Si, pour une personne riche, le luxe c’est l’achat d’un condo aux Bahamas, pour une personne moins fortunée ça peut être une gâterie comme un dîner occasionnel dans un restaurant prestigieux. À chacun son luxe!