mardi 8 mai 2007

L’utilisation de la peur dans les publicités de la SAAQ

Encore cette année, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) fait preuve d’un manque de discernement dans son choix de thème publicitaire. Devant un bilan routier qui se détériore, elle choisit d’utiliser la peur et la culpabilité pour induire un changement d’attitude chez les conducteurs fautifs. Le thème retenu en 2007 est « Un accident, ça frappe... ça frappe beaucoup de monde » et la mise en scène est dramatique pour ne pas dire carrément morbide. Vous pouvez visionner ces publicités sur le site Web de la SAAQ.

Or, depuis longtemps, des études démontrent que l’utilisation de la peur et de la culpabilité n’est pas sans danger. En fait, cette stratégie peut engendrer une réaction contraire à celle désirée (D. Cohen, Advertising, 1972, p. 418) : « Cependant, des études du processus de communication ont indiqué que là où les gens sont fortement anxieux, l’utilisation de la peur peut ne pas réussir, mais en fait avoir un effet boomerang, de sorte que l'individu fortement anxieux n'accepte pas le message. » Par ailleurs, les études de Janis et Feshbach (1961) et de Terwilliger (1963) ont démontré qu’un message faisant appel à la peur, utilisé pour des gens déjà anxieux, stimule les défenses de la personne et empêche le changement d’attitude souhaité. Ce phénomène est confirmé par des études récentes (K. E. Clow et D. Baack, Integrated Advertising, Promotion, & Marketing Communications, 2002, p. 308) : « D'autre part, une publicité avec un niveau élevé de crainte peut être nuisible. Un message trop fort cause des sentiments d’anxiété. Ceci mène des téléspectateurs à éviter de regarder la publicité, en changeant de canal ou en coupant le son. »

Il est surprenant de voir la SAAQ utiliser à nouveau ce type de publicité en 2007, puisque leur utilisation n’a pas réussi à améliorer le bilan routier; au contraire, s’il faut en croire l’étude de cet organisme, il se serait plutôt détérioré, démontrant ainsi la faible utilité du concept.

En plus du risque de voir ces publicités ne pas permettre à la SAAQ d’atteindre ses objectifs louables de réduire les accidents et les décès sur les routes, il faut également considérer un autre effet pervers : celui de traumatiser des personnes sensibles, aucunement visées par cette publicité.

Complètement à l’opposé, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a compris que la peur intense et les scènes choquantes sont inutiles, voire nuisibles. Si en 2002 la campagne « Ne laissez pas la mort faire son travail » faisait appel à des scènes vraiment macabres, celle de 2007, « Tout faire pour qu'il n'arrive rien », est au contraire très positive; on y illustre les bienfaits de la sécurité, en utilisant un niveau subtil de peur, qui suggère les dangers sans provoquer de réactions négatives.

Que pensez-vous des publicités de la SAAQ et de la CSST?

Croyez-vous que les publicités de la SAAQ soient trop choquantes? Trop macabres?

Êtes-vous d’accord avec l’utilisation de la peur et de la culpabilité dans les publicités d’organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux?

1 commentaire:

Luc Séguin a dit...

La pub de la SAAq n'identifie pas la ou le responsable de l'accident, même si spontanément nous serions portés à penser que c'est le chauffeur du camion léger noir qui a grillé un feu rouge. Mais pourquoi alors freine-t-il bien avant d'atteindre l'intersection ? D'un autre côté, comment se fait-il que le père de famille, à qui cet accident va être fatal, ne réagisse pas au bruit du freinage ? Serait-ce qu'il est dans la lune, et que c'est lui, plutôt, en grillant un feu, qui provoque l'accident.

Dans une perspective de culpabilisation, il conviendrait que le responsable soit le chauffeur du camion léger. Ainsi, le père de famille apparaîtrait comme une pure victime.

Mais à qui nous est-il demandé de nous identifier ? Il semble que ce soit au père-victime...

La culpabilité ne semble pas être l'« ingrédient actif » de cette pub, laquelle mise plutôt sur la peur, l'effroi. Le message sous-jacent serait : vous êtes peut-être un brave homme, vous conduisez avec les deux mains sur le volant mais attention ! votre distraction, votre insouciance pourrait vous coûter la vie.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la SAAQ utilise ce genre de pub. Au cours, disons, des 15 dernières années, le nombre d'accidents mortels a diminué. On peut donc raisonnablement supposer que ce type de pubs anxiogènes produit l'effet anticipé. L'inversion récente de la courbe des décès, dont ont fait état les médias, ne doit pas trop rapidement être interprétée comme un échec de la stratégie de la SAAQ.

Ce genre de pubs dérangeantes a un effet sur moi. À l'opposé, les messages positifs comme ceux de la CSST me laissent plutôt indifférent.

Une question pour terminer. Vous rapportez le commentaire suivant : « D'autre part, une publicité avec un à [sic] niveau élevé de crainte peut être nuisible. Un message trop fort cause des sentiments d’anxiété. Ceci mène des téléspectateurs à éviter de regarder la publicité, en changeant de canal ou en coupant le son ». Mais si tel est le cas, n'est-ce pas plutôt la preuve que le but visé -- imprégner fortement l'esprit du spectateur -- est déjà atteint ? Et que le sentiment d'anxiété, bien implanté et associé à un comportement routier inadéquat, amènera le spectateur-chauffeur à faire montre de plus de prudence ?