Sur le plan financier, c’est le marché obligataire qui est à l’origine de la crise financière. Il faut bien comprendre que le rendement des obligations, comme celui de tous les produits financiers d’ailleurs, est fonction du risque; plus le risque de défaut de l’emprunteur est élevé, plus l’intérêt qu’on exigera de lui est élevé. Ce risque, on l’évalue à l’aide d’une échelle de notation. Pour illustrer mon propos, voici celle de Standard & Poor : AAA, AA, A, BBB, BB, B, CCC, CC, C, D. Une obligation obtenant une note inférieure à BBB est considérée un produit financier spéculatif, donc fortement risqué; son rendement est toutefois beaucoup plus élevé que celui d’une obligation notée AAA.
Par exemple, les Bons du trésor du Canada sont notés AAA, mais leur rendement est actuellement inférieur à 1%. À l’inverse, DBRS a récemment attribué
Or, si l’attribution de la note a historiquement été fonction de critères objectifs, telles la garantie du gouvernement du Canada ou encore les données réelles des défauts de paiement, David X. Li, un statisticien gradué de l’Université de Waterloo, a conçu un modèle mathématique pour évaluer le risque plus rapidement et plus facilement. Sa formule est fondée sur la corrélation entre différents véhicules financiers afin d’en évaluer le risque mathématique de défaut; elle a permis d’attribuer
Sans entrer dans les détails trop techniques, voici comment fonctionne la formule de David X. Li. Elle calcule la corrélation qui existe entre différents actifs financiers, souvent des « credit default swaps » (CDS), un produit dérivé financier destiné à protéger un investisseur contre un défaut de paiement. Plutôt que d’utiliser les données réelles des défauts de paiement, la formule de Li utilise l’historique du prix des « swaps » (CDS), facilitant et accélérant l’analyse de risque.
Forts de cette connaissance, même si cette dernière était superficielle, les organismes financiers se sont empressés de regrouper au sein d’une même obligation adossée à des actifs, des « swaps » (CDS) entre lesquels la corrélation était négative. Par exemple, des hypothèques provenant de régions très différentes, tels le Québec et la Colombie-Britannique. Leur raisonnement était le suivant : les chances que le marché hypothécaire s’écroule simultanément dans ces deux régions sont très petites, donc l’obligation résultante est sécuritaire.
Comme nous le constatons maintenant, de tenir pour acquise la permanence de la corrélation négative était une fausse prémisse qui faisait croire à une conséquence tout aussi erronée, la grande sécurité de l’obligation résultante.
Ceci a eu pour résultat d’attribuer la note AAA, une note historiquement attribuée à des placements garantis par le gouvernement, à des obligations adossées à des actifs corporatifs, à des prêts bancaires ou à des titres hypothécaires, sans que la valeur réelle et la sécurité de ces actifs soient vraiment vérifiées et démontrées.
L’astuce a bien fonctionné pendant quelques années, faisant augmenter le marché des « swaps » (CDS) de 920 $ milliards en 2001 à 62 $ trillions en 2007. Quant à celui des obligations adossées à des actifs, il est passé de 275 $ milliards en 2000 à 4,7 $ trillions en 2006.
Deux facteurs ont perturbé le modèle : une augmentation phénoménale du prix des maisons et le fait que les données concernant l’historique du prix des « swaps » (CDS) étaient réparties sur une période beaucoup trop courte, seulement 10 ans. Même si en 2005 plusieurs personnes ont formulé des mises en garde sur l’utilisation de cette formule mathématique, dont David X. Li lui-même, la plupart des grands investisseurs n’ont pas écouté, séduits par les profits mirobolants qu’ils récoltaient à l’époque.
Les leçons à tirer de cet épisode sont très simples :
- Dans le monde de la finance, il n’y a pas de profit élevé sans risque élevé; si le rendement vous paraît trop beau pour être vrai, c’est qu’il y a anguille sous roche.
- Très peu de financiers comprenaient la formule de David X Li; quelques-uns se sont abstenus d’acheter les produits financiers qui en résultaient, mais la plupart en ont acheté sans comprendre. Si vous ne comprenez pas ce dans quoi vous investissez, abstenez-vous! Il n’y a pas de honte à avouer les limites de ses connaissances, surtout dans des spécialités aussi pointues.
Je conclus en répétant ce que je dis depuis longtemps déjà : le capitalisme doit être réformé. On doit en évacuer la spéculation et les autres pratiques fondées sur la cupidité, la recherche rapide et excessive du profit.
Les personnes qui souhaitent obtenir plus de détails techniques sur ce sujet peuvent consulter l’article « Recipe for Disaster: The Formula That Killed Wall Street », qui a inspiré cette chronique.
Je remercie mon ami Serge Lamarche, conseiller financier à la Financière Banque Nationale, de sa précieuse collaboration pour la rédaction de cet article.
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