vendredi 23 février 2007

En avez-vous vraiment besoin?

Nous consommons trop et nous consommons mal. « La consommation est devenue l’activité principale de notre société. D’autres époques nous ont laissé des cathédrales imposantes ou d’autres monuments qui indiquaient l’importance accordée à certaines valeurs, religieuses ou non; les temples de l’ère actuelle sont ces immenses centres commerciaux qui permettent aux gens de rendre régulièrement hommage au dieu consommation (S. Mongeau, La simplicité volontaire, plus que jamais…, Montréal, Écosociété, 1998, p. 45). »

Cet extrait, tiré de l’introduction de Consommation et image de soi, annonce admirablement bien ma position sur la société de consommation; il a d’ailleurs été repris lors d’une entrevue télévisée à simondurivage.com. Je termine l’ouvrage sur une question à se poser avant d’acheter : « En ai-je vraiment besoin? »

De manière générale, et dans les sociétés industrialisées en particulier, à moins qu’on ne soit disposé à pourvoir soi-même à toutes les nécessités de la vie, c’est sur le marché qu’on se procure la presque totalité des produits qu’on consomme. Ces nécessités de la vie, tant les consommateurs que les théoriciens en marketing les qualifient de besoins. Pour le consommateur, ses besoins vont de soi. « J’en ai besoin », disons-nous souvent pour justifier un achat. Pour le fabricant, le producteur ou l’entrepreneur, qui conçoit des produits dans le but de les vendre, la détermination des besoins du consommateur apparaît essentielle. Le marketing lui a appris qu’il devait d’abord connaître les besoins des clients éventuels et ensuite mettre au point des produits ayant les caractéristiques propres à les satisfaire.

Le consommateur éprouve donc des besoins et s’évertue à les satisfaire. Pour le fabricant, c’est là une réalité opérationnelle : définir les besoins du marché permet de commercialiser des produits auprès de millions de personnes. Pour les théoriciens du marketing, cette simple constatation n’est pas suffisante : ils ont voulu voir de plus près ce qu’est le besoin. Pour définir la nature des motifs justifiant une décision d’achat, ils ont fait appel à la théorie de la motivation élaborée par Abraham Maslow (A. H. Maslow, Motivation and Personality, New York, Harper & Row, 1954).

Un survol des études sur les fondements du marketing, des années 1970 à nos jours, permet de dégager six principes sous-jacents au concept de besoins :

  1. les besoins sont inhérents au consommateur;
  2. des efforts de marketing ne peuvent créer un besoin;
  3. des efforts de marketing peuvent créer un désir (ou une demande, want, considérée comme une concrétisation du désir) ;
  4. la publicité ne fait qu’associer un produit avec un besoin existant du consommateur;
  5. les besoins peuvent être fonctionnels ou symboliques;
  6. le consommateur cherche à satisfaire ses besoins symboliques davantage que ses besoins fonctionnels.

La plus importante faiblesse de la théorie réside dans le fait de considérer les besoins comme inhérents au consommateur. Prenons, par exemple, l’achat d’une automobile. Certains pourront l’attribuer à la satisfaction d’un besoin inné de transport; d’autres pourront y voir la satisfaction d’un besoin naturel de prestige, particulièrement s’il s’agit d’une marque de renom. Dans les deux cas, la nature innée du besoin peut paraître tout aussi évidente. Pourtant, ni l’un ni l’autre de ces besoins n’existent à la naissance; ils ne sont pas apparus sans raison ni influence. Qui les a imposés? Puisque le concept de besoin reconnaît l’existence d’une dimension symbolique, et même la préséance éventuelle des besoins symboliques sur les besoins fonctionnels, il admet implicitement l’existence d’une influence sociale sur les besoins. Voilà qui dément la nature inhérente des besoins du consommateur.

Cette incohérence est résolue à travers une distinction radicale entre les besoins et les désirs (ou demandes). On dira que le besoin est une exigence de l’être humain, alors que le désir (ou la demande) est le résultat d’influences culturelles et d’efforts marketing. Par exemple, un Américain peut avoir besoin d’un moyen de transport, mais désirer et demander un véhicule de marque nord-américaine, alors qu’un Français peut éprouver le même besoin, mais le satisfaire avec un véhicule de marque européenne. Pourtant, dans sa théorie de la motivation, sur laquelle repose la théorie des besoins, Maslow ne fait pas une telle distinction; il utilise indistinctement les termes besoins, pulsions (drives) et désirs.

Par conséquent, puisque les efforts de marketing peuvent créer un désir ou une demande, ils peuvent nécessairement susciter l’apparition d’un besoin. D’ailleurs, cette tâche est largement simplifiée par le fait que, selon Maslow, la satisfaction des besoins ne peut être que momentanée.

La théorie de la motivation élaborée par Maslow se prête parfaitement, en apparence, à étayer le concept de besoin dont le marketing fait usage. Rien d’étonnant à ce que les spécialistes, en quête de lettres de noblesse à l’époque de l’élaboration théorique de cette science, y aient fait appel. Je ne partage pourtant pas l’interprétation qu’ils en font. Loin de présenter les besoins comme innés, je crois, au contraire, que les travaux de Maslow en démontrent la nature sociale et la facilité avec laquelle ils peuvent être créés, compte tenu du contentement bien éphémère que procure leur satisfaction, surtout par la consommation d’un produit ou d’un service.

Dans une prochaine chronique, je présenterai la théorie des attentes que j'ai développée; fondée sur mon expérience des affaires et sur les écrits récents en sociologie et en psychologie, elle est mieux à même d'expliquer les motivations et les exigences du consommateur.

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