lundi 26 février 2007

Que pensez-vous d’IGOR?

IGOR est une sympathique mascotte, un gentil petit gorille, créée par la compagnie Vachon pour vendre de nouveaux muffins en forme de gorille, évidemment destinés aux enfants. IGOR a même son propre site Web au nom évocateur « Igor et moi ».

Pour vendre son produit, Vachon a mis sur pied une campagne promotionnelle décrite par le menu sur le portail Infopresse :

« La campagne promotionnelle met en vedette la mascotte du produit, le gorille Igor. Plus de 1000 centres de la petite enfance (CPE) du Québec, de l'Ontario et des Maritimes sont visés. Les garderies recevront un CD de la danse d'Igor, des affiches illustrant la danse de la mascotte, des sacs pour chaque enfant comprenant un livret portant sur l'histoire d'Igor et ses amis de la jungle prônant la bonne nutrition et l'activité physique, des autocollants et deux muffins Igor de Vachon, ainsi que des coupons de réduction.

Également, 20 garderies participantes gagneront une sortie de groupe de leur choix d'une valeur de 3000 $ incluant de l'animation avec le gorille porte-parole. » Les sacs promotionnels en question sont également distribués dans certains foyers; j’en ai reçu un à la maison. Vous aussi peut-être? Ceci n’a rien de nouveau; cette méthode est souvent utilisée pour lancer de nouveaux produits.

La campagne a choqué l’Union des consommateurs et la Coalition québécoise sur la problématique du poids. Dans un communiqué de presse, en se fondant sur l’article 248 de la Loi sur la protection du consommateur, ces deux organismes demandent à l’Office de la protection du consommateur d’ordonner le retrait du matériel promotionnel des garderies.

Or, à première vue, les pratiques commerciales de Vachon ne semblent pas enfreindre l’article 248 de la Loi sur la protection du consommateur, lequel a historiquement été appliqué à la publicité dans les médias traditionnels, principalement la télévision. Comme le stipule l’article 90 du Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur, l’utilisation d’un message publicitaire à l’intention des enfants est permise sur un contenant, une étiquette ou un emballage. Quant à la mascotte, son usage est clairement autorisé par le paragraphe « l » de l’article 91 du même règlement, lequel stipule que « n'est pas un personnage connu des enfants celui créé dans le but d'annoncer un bien ou un service, lorsqu'il est utilisé à cette fin seulement ». Il y a d’ailleurs belle lurette que les entreprises utilisent des mascottes pour vendre des produits alimentaires aux enfants. Pensons par exemple à Tony le tigre, au trio Cric, Crac et Croc, et à Sam le toucan, des mascottes encore utilisées aujourd’hui, comme en fait foi le site Web de Kellogg Canada.

Par contre, on peut s’interroger sur la conformité du livret portant sur l’histoire d’IGOR. En effet, ce matériel promotionnel me semble entrer dans la catégorie « encart publicitaire » aux termes de l’article 88 du règlement d’application; il y est stipulé qu’un message publicitaire peut être exempté de l’application de l’article 248 de la loi s’il est « contenu dans une revue ou dans un encart qui est destiné à des enfants » (paragraphe « a ») ET si cet encart est « offert EN VENTE ou inséré dans une publication offerte EN VENTE » (paragraphe « b »), ce qui ne semble pas être le cas ici. Par contre, n’étant ni légiste, ni avocat, je ne peux pas me prononcer de façon certaine sur ces questions. Nous verrons bien; l’Office de la protection du consommateur enquête à ce sujet.

De toute façon, penchons-nous plutôt sur le contenu « santé » du message, un incontournable, compte tenu des préoccupations de la population à cet égard depuis plusieurs années; le fait de présenter une sucrerie comme un aliment sain et surtout d’apposer le logo « Visez santé », accordé par la Fondation des maladies du cœur du Canada, sur l’emballage et le matériel promotionnel, relève d’un cynisme éhonté. Il faut d’ailleurs s’interroger sur les critères de certification des produits qu’il faut respecter pour afficher ce logo; nos tout-petits seraient-ils menacés de cardiopathie? Peut-être que cette fondation devrait être un peu plus sélective quant aux produits sur lesquels elle autorise l’apposition de son logo ou bien réviser ses critères de certification. Mais là encore, Vachon n’est pas le seul producteur de produits alimentaires à faire valoir le caractère nutritif d’un produit, par exemple le fait de contenir des grains entiers, tout en évitant d’accorder trop d’importance à des nutriments indésirables, tels le sucre, le sel et les gras. Pourquoi alors condamner la campagne IGOR avec autant de virulence?

Ce sur quoi il faut plutôt s’interroger, c’est l’opportunisme des garderies qui participent à la campagne IGOR. Il y a quelque chose de choquant dans le fait qu’un organisme subventionné par l’État accepte des avantages, pécuniaires ou autres, en échange de son aide à la commercialisation d’un produit. Ceci est particulièrement vrai lorsque le produit est une friandise et que l’organisme est voué au bien-être des enfants. Outre cette responsabilité morale de l’organisme, n’oublions pas sa responsabilité légale, puisque l’article 5 de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance fait état d’une obligation d’appliquer un programme éducatif « visant à donner à l'enfant un environnement favorable au développement de saines habitudes de vie, de saines habitudes alimentaires et de comportements qui influencent de manière positive sa santé et son bien-être. »

Je ne suis pas contre le fait qu’un enfant puisse, à l’occasion, manger des friandises; nous l’avons tous fait étant enfants, et la plupart d'entre nous le font encore maintenant en certaines occasions. Du reste, je peux avoir tort; les muffins IGOR sont peut-être un aliment sain? Mais, si tel est le cas, pourquoi alors Coalition québécoise sur la problématique du poids s’oppose-t-elle à leur promotion dans les garderies? Les sorties et l’animation dont bénéficieront les enfants sont-elles des raisons suffisantes pour tolérer la promotion IGOR dans les garderies? La campagne IGOR vous choque-t-elle? Dans l’affirmative, qu’est-ce qui vous choque, les actions promotionnelles de Vachon ou la complicité des garderies? Donnez-moi votre avis! J’ai hâte de lire vos commentaires!

À lire également : « Pas fort, Igor », un article d'Ariane Krol, journaliste au quotidien La Presse.

vendredi 23 février 2007

En avez-vous vraiment besoin?

Nous consommons trop et nous consommons mal. « La consommation est devenue l’activité principale de notre société. D’autres époques nous ont laissé des cathédrales imposantes ou d’autres monuments qui indiquaient l’importance accordée à certaines valeurs, religieuses ou non; les temples de l’ère actuelle sont ces immenses centres commerciaux qui permettent aux gens de rendre régulièrement hommage au dieu consommation (S. Mongeau, La simplicité volontaire, plus que jamais…, Montréal, Écosociété, 1998, p. 45). »

Cet extrait, tiré de l’introduction de Consommation et image de soi, annonce admirablement bien ma position sur la société de consommation; il a d’ailleurs été repris lors d’une entrevue télévisée à simondurivage.com. Je termine l’ouvrage sur une question à se poser avant d’acheter : « En ai-je vraiment besoin? »

De manière générale, et dans les sociétés industrialisées en particulier, à moins qu’on ne soit disposé à pourvoir soi-même à toutes les nécessités de la vie, c’est sur le marché qu’on se procure la presque totalité des produits qu’on consomme. Ces nécessités de la vie, tant les consommateurs que les théoriciens en marketing les qualifient de besoins. Pour le consommateur, ses besoins vont de soi. « J’en ai besoin », disons-nous souvent pour justifier un achat. Pour le fabricant, le producteur ou l’entrepreneur, qui conçoit des produits dans le but de les vendre, la détermination des besoins du consommateur apparaît essentielle. Le marketing lui a appris qu’il devait d’abord connaître les besoins des clients éventuels et ensuite mettre au point des produits ayant les caractéristiques propres à les satisfaire.

Le consommateur éprouve donc des besoins et s’évertue à les satisfaire. Pour le fabricant, c’est là une réalité opérationnelle : définir les besoins du marché permet de commercialiser des produits auprès de millions de personnes. Pour les théoriciens du marketing, cette simple constatation n’est pas suffisante : ils ont voulu voir de plus près ce qu’est le besoin. Pour définir la nature des motifs justifiant une décision d’achat, ils ont fait appel à la théorie de la motivation élaborée par Abraham Maslow (A. H. Maslow, Motivation and Personality, New York, Harper & Row, 1954).

Un survol des études sur les fondements du marketing, des années 1970 à nos jours, permet de dégager six principes sous-jacents au concept de besoins :

  1. les besoins sont inhérents au consommateur;
  2. des efforts de marketing ne peuvent créer un besoin;
  3. des efforts de marketing peuvent créer un désir (ou une demande, want, considérée comme une concrétisation du désir) ;
  4. la publicité ne fait qu’associer un produit avec un besoin existant du consommateur;
  5. les besoins peuvent être fonctionnels ou symboliques;
  6. le consommateur cherche à satisfaire ses besoins symboliques davantage que ses besoins fonctionnels.

La plus importante faiblesse de la théorie réside dans le fait de considérer les besoins comme inhérents au consommateur. Prenons, par exemple, l’achat d’une automobile. Certains pourront l’attribuer à la satisfaction d’un besoin inné de transport; d’autres pourront y voir la satisfaction d’un besoin naturel de prestige, particulièrement s’il s’agit d’une marque de renom. Dans les deux cas, la nature innée du besoin peut paraître tout aussi évidente. Pourtant, ni l’un ni l’autre de ces besoins n’existent à la naissance; ils ne sont pas apparus sans raison ni influence. Qui les a imposés? Puisque le concept de besoin reconnaît l’existence d’une dimension symbolique, et même la préséance éventuelle des besoins symboliques sur les besoins fonctionnels, il admet implicitement l’existence d’une influence sociale sur les besoins. Voilà qui dément la nature inhérente des besoins du consommateur.

Cette incohérence est résolue à travers une distinction radicale entre les besoins et les désirs (ou demandes). On dira que le besoin est une exigence de l’être humain, alors que le désir (ou la demande) est le résultat d’influences culturelles et d’efforts marketing. Par exemple, un Américain peut avoir besoin d’un moyen de transport, mais désirer et demander un véhicule de marque nord-américaine, alors qu’un Français peut éprouver le même besoin, mais le satisfaire avec un véhicule de marque européenne. Pourtant, dans sa théorie de la motivation, sur laquelle repose la théorie des besoins, Maslow ne fait pas une telle distinction; il utilise indistinctement les termes besoins, pulsions (drives) et désirs.

Par conséquent, puisque les efforts de marketing peuvent créer un désir ou une demande, ils peuvent nécessairement susciter l’apparition d’un besoin. D’ailleurs, cette tâche est largement simplifiée par le fait que, selon Maslow, la satisfaction des besoins ne peut être que momentanée.

La théorie de la motivation élaborée par Maslow se prête parfaitement, en apparence, à étayer le concept de besoin dont le marketing fait usage. Rien d’étonnant à ce que les spécialistes, en quête de lettres de noblesse à l’époque de l’élaboration théorique de cette science, y aient fait appel. Je ne partage pourtant pas l’interprétation qu’ils en font. Loin de présenter les besoins comme innés, je crois, au contraire, que les travaux de Maslow en démontrent la nature sociale et la facilité avec laquelle ils peuvent être créés, compte tenu du contentement bien éphémère que procure leur satisfaction, surtout par la consommation d’un produit ou d’un service.

Dans une prochaine chronique, je présenterai la théorie des attentes que j'ai développée; fondée sur mon expérience des affaires et sur les écrits récents en sociologie et en psychologie, elle est mieux à même d'expliquer les motivations et les exigences du consommateur.